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Paris-Rouen

JOUR 2

 

 

Je me réveille avec les premières lueurs de l'aube, vers 6h du matin. Petit déjeuner. Je plie rapidement mes affaires. Une péniche passe. Dans son sillage, elle pousse une grosse branche vers la rive. Elle se rapproche encore. A ma grande surprise, elle se dresse sur ses pattes et sort de l'eau: en fait de branche, c'était plutôt un sanglier qui traversait paisiblement la Seine. Il poursuit sa route à quelques dizaines de mètres de moi, me laissant encore perplexe.

Je repars. Je ne vais pas m'éterniser dans la description des magnifiques paysages. On ne peut de toute façon les décrire. Ils resteront gravés dans ma mémoire, sous forme d'images fugaces, associées à un sentiment unique qui me remplit d'émerveillement à chaque fois que j'y repense.

 

On est seul, seul au beau milieu de cet immense fleuve. Ridiculement petit. On croise par moment les énormes péniches. Parfois on longe les poteaux qui les amarrent: de gigantesques piliers larges d'un mètre, haut de 4, couverts de rouilles comme sortis d'un autre temps. Parfois on traverse la ville, un port, qui ne font que vous rappeler à quel point vous êtes seul, vous, sur l'eau. Quelques usines, qui crachent leur fumée dans un vacarme effroyable. Les ponts aussi. Les ponts constituent mon principal point de repère sur la carte. De même, j'évalue la distance parcourue en comptant les feuilles de navicarte traversées.

Et la végétation, tout le reste est couvert de cette épaisse végétation anarchique, qui dégueule sur la berge ses branches emmêlées. Parfois une petite ouverture laisse entrevoir une plage. Parfois de hautes falaises de craie blanche, en émergent majestueusement.

En milieu de matinée, j'atteins Verdon, mon étape initiale. J'ai déjà bien rattrapé mon retard.

 

Me voilà bientôt proche d'une nouvelle écluse. J'appelle, idem, on n'autorise pas mon passage. Mon interlocuteur me signal avoir déjà vu des kayakistes débarquer en amont sur la rive gauche, marcher 200m, et se remettre à l'eau en aval. C'était effectivement mon intention. J'avais déjà repéré une nouvelle fine bande de terre au niveau de la rive droite, qu'on atteignait par un bras de Seine indiqué «interdit». Ça ne m'inquiète pas plus que ça, persuadé que cette indication est destinée aux plaisanciers, ou aux péniches auxquels s'adresse mon navicarte, qui craignent les hauts fonds bien plus que mon kayak. D'autant plus qu'une route passe sur la bande de terre donc à priori plus de problème d'orties ou de végétation infranchissable. J'aperçois l'écluse au loin. Une ile la sépare en deux: à gauche l'écluse proprement dite, à droite, le barrage, et mon bras de Seine. Je vais à droite.

Je me rapproche. A ma grande surprise, le barrage semble ouvert. Une seule porte est relevée, et je vois l'eau s'écouler en aval. J'hésite à poursuivre. Je gagnerai sans doute une heure en passant sous le barrage, en évitant d'avoir à débarquer mes affaires, à les transporter, à rembarquer, etc...

Finalement, le courant s'accélère, et me pousse vers le fameux bras. Pour une fois qu'il y a du courant (jusqu'à présent assez anecdotique), je me laisse porter. Ce sera donc le bras interdit. Le courant augmente encore. Un virage, et soudain, je me retrouve né à né avec la centrale hydro électrique. Je m'arrache au courant et regagne un bord, ou le courant est plus faible. Il y a un petit ponton de 50 cm de haut. Je débarque, encore sous le coup de la surprise, et sors progressivement mes affaires de l'eau.

 

Un type sur la centrale, me dit que je n'ai pas le droit d'être là que c'est interdit, je bredouille un semblant d'excuse, que le vacarme de l'eau couvrira de toute façon. Il faut mieux que je ne m'attarde pas. Je cours de l'autre côté. Nouvelle surprise. Un ponton de 5-6 mètre de haut, sans aucune prise, donnant à pic sur les chutes d'eau de la centrale. Impossible de passer par là. Emprunter la route pour repasser rive gauche: impossible aussi tout est grillagé, propriété privé etc., et les techniciens ne semblent pas ravis de me voir débarquer comme ça....

 

Je décide de déjeuner pour réfléchir à la situation. Soit je rebrousse chemin, j'affronte le courant de la centrale, je remonte l'ile pour repasser du côté écluse et je prends le passage qu'on m'avait indiqué. L'idée de tous ces efforts gaspillés ne m'enchante guère. Soit, il faut que je trouve une solution. Je termine rapidement mon pique-nique. Et décide d'explorer les alentours. A mon grand soulagement, je découvre dans les fourrés le lit d'une rivière à sec, qui descend vers la Seine. Le passage est très raide, casse gueule, et entravé par les branches, mais c'est la meilleure solution. Avant de partir je demande de l'eau à une habitante des environs. De nouveau je transporte mes affaires, mais le trajet est bien plus court que la dernière fois. Je fais vite pour éviter de nouvelles remarques des hommes de la centrale, partis en pause déjeuner.

Enfin mon kayak est à flot, la pluie tombe, beaucoup plus fort cette fois, aucune importance, je veux quitter cet endroit au plus vite. Je dépasse l'ile. J'aperçois le barrage. Et les immenses chutes d'eau par lesquelles j'ai failli passer. En effet, au raz de l'eau, le peu d'eau qui passait entre les piliers avait semblé se projeter à des centaines de mètres derrière le pont. Et l'illusion d'optique avait failli mettre fin à mon aventure. Je me suis fait peur.

 

Il est 15h, j'arrive à la deuxième étape de mon programme initial. Je fais une pause pour faire quelques courses. Je m'amarre à un immense pilier, invisible depuis la rive. La ville est belle avec son vieux quartier, son église et son château. Deux possibilités: rester là pour dormir, comme prévu. Ou poursuivre avant la tombée de la nuit.

Après ma mésaventure de tout à l'heure, j'ai hâte d'en finir avec la dernière écluse. Mais celle-ci est encore très loin. Je repars sans plus tarder, en accélérant la cadence. Bientôt le vent se lève, creusant des vagues de 50cm, que les boudins de mon kayak peinent à stopper. Surtout ça ne facilite pas mon avancée, et je redouble d'effort. 2h... La fatigue se fait vraiment sentir, mais je dois atteindre l'écluse. Je persévère. Le soleil baisse rapidement, et la pénombre gagne. Il faut que j'arrive avant le coucher du soleil. Des péniches de croisière illuminées me dépassent. Le vent est tombé, il pleut à présent. Achevant de tremper mes affaires, déjà mouillées par l'eau projetée par chaque coup de pagaie. Les premières maisons sont en vue. Il faut que j'atteigne le club d'aviron où je suis sûr de trouver un ponton. Un ultime effort. Je suis arrivé. Le soleil se couche.

 

Je sors mes affaires trempées, cours les étaler sur le parking. Trop tard, il fait nuit, elles ne sècheront plus... Je tremble de froid torse nu sous mon gilet de sauvetage. Heureusement mon duvet est épargné. Je me déshabille et dine enroulé dedans. A présent Il faut que je trouve un endroit pour dormir. Exténué, et transit de froid, je ne vais pas chercher très loin. L'école d’aviron à coté de laquelle je me suis arrêté à deux étages. Aux deuxième étage, une large terrasse; sous cette terrasse un renfoncement de 3 mètres de long, 1 de large, sorte de couloir qui mène à une porte visiblement peu fréquentée. J'y transporte mes affaires en courant. Je m'endors inquiet à l'idée de me faire expulsé par quelque propriétaire mécontent. Aux aguets, Je dors mal, réveillé à plusieurs reprise, par des personnes qui passent en parlant devant mon abri.

J'ai pagayé 14h.

 

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