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Paris-Rouen

JOUR 3

 

Le lendemain, levé 4h du matin. Je termine de ranger mes affaires, et replie le kayak pour pouvoir le transporter de l'autre côté de l'écluse. Je n'ai pas encore décrit la ville: Pose. A proximité d'une écluse, je m'attendais à tomber sur des usines, des centrales électriques, etc... Pas du tout. Un chemin de halage longe la Seine. A gauche, de beaux petits pavillons, plus ou moins vieux, plus ou moins, coquets. De l'autre côté du chemin, donnant sur la Seine, leur correspondent quelques mètres carrés d'une pelouse impeccable, souvent prolongé par un ponton privé, auquel est amarré le bateau familial. Un vrai paysage de conte de fée. Traverser la ville est une épreuve beaucoup moins charmante. Je suis obligé de transporter le sac « kayak » séparément sur une centaine de mètres, avant de retourner sur mes pas récupérer les deux autres, tant ils sont lourds. J'avance lentement, aux prix d'efforts disproportionnés. Les mots ne suffisent pas pour décrire ce nouveau calvaire, qui durera 2 longues pénibles heures. J'arrive en vue de l'écluse. Finalement, je suis forcé de constater que j'aurais pu débarquer sans difficulté quelques mètres en amont de l'obstacle, ce qui m'aurait épargné ces kilomètres, mais je n'avais aucun moyen de le savoir. J'aurai au moins été prudent une fois. A présent je dois trouver un endroit pour remettre mon kayak à l'eau. A mon grand soulagement il y a un quai qui descend en pente douce, caché dans les arbres 200m plus loin. Il est 7h. Je petit déjeune en gonflant mon kayak. Un type qui promène son chien vient à ma rencontre. Il me demande ce que je fais, paraît surpris, me demande si il me verra à la télé. On discute un moment. Je repars. De nouveau les paysages défilent. J'avance à un bon rythme. L'entrainement, ou le courant qui a subitement décidé de m'aider un peu? Je traverse la ville où j'avais prévu de dormir l'avant dernier soir. Quelques beaux bâtiments, perchés à flanc de falaise.

 

 

Il se remet à pleuvoir. Plus longtemps cette fois. 2H de ce brouillard déprimant. Un tuyau déverse en torrent les déchets de quelque usine dissimulée par les arbres. L'odeur prend à la gorge, l'eau est étrangement jaune. J'ai l'impression que mon kayak va se dissoudre. Quelques secondes de divertissement avant de retomber dans le brouillard oppressant des gouttes d'eau. J'avance toujours et touche bientôt au but. Plus que 2h avant Rouen.Mais le vent se lève, et sous la pluie qui redouble, torse nu sous mon gilet de sauvetage, je commence à attraper sérieusement froid. Je dois m'arrêter sous le pont de l'autoroute, pour attendre que ça se calme. Je repars, la pluie s'arrête bientôt. L'eau est étrangement plate, comme trop dense. J'y imprime de longs tourbillons à chaque coup de pagaie. Encore quelques iles.

 

 

 

J'aperçois les premiers bâtiments de Rouen! Je longe la rive gauche, inhabitée, croise quelques carcasses de péniches rouillées englouties par la boue. Je vois le Pont: Le pont du train qui me ramènera à paris!! Le premier pont des 3 qui traversent l'ile située au cœur de Rouen. Mon objectif. Un dernier effort. Plus que 500 mètre. Subitement toutes les cloches de la ville se mettent à sonner. Sans doute mon meilleur souvenir. Bien évidement j'étais persuadé que ces cloches fêtaient mon arrivée triomphale. Il était 14h30. Je débarque sur l'ile. Mange un morceau, appel mon petit frère pour qu'il me guide: la gare n'est pas indiquée sur la carte. Naïvement, je supposais qu'elle était à proximité puisque j'étais sous la ligne de chemin de fer. Il m'explique qu'il faut atteindre l'autre extrémité de l'ile (1km environ), et que la gare sera alors 1-2 km à l'intérieur des terres, plus ou moins perpendiculairement à la Seine. Il m'indique aussi un bus pour la rejoindre.

 

Ça s’est révélé un peu plus compliqué que prévu... le temps que j'appelle, l'eau est montée de 20cm. Pourquoi? Aucune idée. Aucune importance surtout. Je remonte dans mon kayak, et prends la direction indiquée. Je passe sous le pont. Étonnement, un fort courant m'empêche d'avancer. Sans doute quelques remous improbables créés par les piliers. Sans plus de question je tente de m'y soustraire. Mais il ne faiblit pas. Je suis maintenant suffisamment éloigné du pont, et au beau milieu de la Seine, c'est un courant qui remonte le fleuve qui m'empêche d'avancer??

Je lutte pendant 10 minutes pour tenter de rejoindre le pont aval.

 

 

Finalement, Découragé par cette épreuve totalement inattendue, je décide de débarquer et de terminer à pied. Je repère un petit escalier en amont, caché derrière des péniches. A cet endroit les berges de la Seine sont formées d'une pente très raide en béton, de 3-4 mètres de haut. Cet escalier est ma porte de sortie. Et quelle porte.... Je m'approche, nouvelle vision d'horreur: en fait d'escalier propre et bétonné, je me retrouvé né à né avec une vieille échelle vermoulue, pleine de vase, à laquelle il manque la moitié des barreaux. Après quelques hésitations, je décide de débarquer là malgré tout. Je décharge quelques sacs, utilise mes cordes pour escalader les barreaux restant. Manque de me casser le poignet sur les marches très glissantes. De nouveau, le courant change de sens, mais je poursuis imperturbable mon débarquement pressé d'en finir. Je plie définitivement le kayak. J'essaye de soulever mes trois sacs: impossible de faire trois pas

Je décide d'essayer le stop. Sans succès. La pluie se remet à tomber plus forte que jamais. Des gouttes énormes qui me trempent jusqu'aux os instantanément. Dégoulinant, je laisse tomber le stop et décide de terminer à pied.

J'abandonne dans ce qui semble être une décharge tout ce que je pouvais jeter. Je rééquilibre mes sacs, j'enroule les bretelles dans des bandages, pour éviter qu'elles ne me scient l'épaule. Et je repars.

 

 

C’est difficile mais moins pire que ce que j'imaginais, sans doute encore animé par la joie d'être arrivé et de toucher au but... Je sors des quais. Sur la route, les voitures qui traversent les trous d'eaux à toute vitesse achève de m'inonder à grand coup de gerbes d'eau d'1 mètre. Avec la fatigue, la rage, et le désespoir j'ai les larmes aux yeux. Je serre les dents. Je rejoins enfin le pont. Aveuglé par l'envie d'en finir, je cherche l'arrêt de bus. En réalité celui-ci se trouvait sur le pont suivant. Je poursuis dans la direction de la gare dans l'espoir de tomber dessus. Au bout de quelque mètre, je tombe sur des travaux en plein milieu de la route, imposant une déviation. J'abandonne l'idée du bus, et me résous à tenter de rejoindre la gare à pied. Je traverse le beau centre-ville de Rouen, sans à peine un regard pour ses beaux bâtiments. Une seule idée en tête: arriver coûte que coûte. Hâter le moment du repos tant mérité.

Au détour d'une rue, je tombe enfin sur la vision salutaire de la tour de la gare, et de sa belle façade, au sommet d'une légère côte. Il m'aura fallu 2h30 pour parcourir 2-3 km.

Dans le hall, le tableau indique le prochain train dans 10 minutes. Trop tard pour acheter un billet. Mais à présent j'ai tout mon temps. Je patiente donc 2h de plus dans la salle d'attente, dégoulinant, torse nu sous mon treillis trempé, amusé par l'image insolite que je devais donner aux personnes qui m'entouraient.

Dans le train qui me ramène à Paris, et qui longe la Seine par intermittence, je revois les paysages traversés au cours de ces longs trois derniers jours. Non sans une certaine fierté.

 

 

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