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Préparation

Juin 2010

C'est lors de la traversée aller-retour, Continent (îles d'Hyères) – Corse (Calvi), à bord du voilier « Octuor », qu'est né le projet. Au large des côtes, immobilisé par l'absence de vent, je décide de mettre le fameux «pathfinder», mon premier kayak, à l'eau. Pendant un petit quart d'heure, j'ai donc pagayé insouciant, sur 700m de fond. Mes frères connaissant ma phobie des grands fonds, m'avaient laissé croire qu'il y en avait 70, pour me convaincre de me jeter à l'eau.

Quelle fut ma réaction quand je l'ai appris en remontant? Un genre de "bah c'est pas si terrible". Et l'espace d'un instant, je me suis imaginé affronter cette peur irrationnelle, seul en plein milieu de la mer, sur mon kayak. En quittant la Corse, je me suis promis d'y retourner un jour, après avoir passé le sélectif concours de médecine. Cette idée ne m'a pas quitté pendant cette éprouvante année. Déterminé à arrêter de me contenter de rêver cette fameuse traversée, pas à pas j'ai fait avancer le projet.

 

Juin 2012

Descente de la Seine à bord du pathfinder (cf pages Paris-Rouen).

 

Mars 2013

Prise de contact avec Arc de Seine Kayak.

 

Juin 2013

100km en 24h sur la Seine. En faisant des aller-retours pour minimiser l'effet du courant, à bord d'un kayak de mer Rotodom prêté par ASK. Les 24h sont malheureusement découpées en 2 jours, n'ayant pas encore d'autorisation pour pagayer de nuit (14 puis 10h).

 

Septembre 2013

- Achat du grand narak, d'occasion. Cet investissement important est le début du point de non retour, qui me permettra, je l'espère, de concrétiser mon rêve.

- Demande de manifestation nautique de 40h déposée à la préfecture de police. Délai de la procédure: 2 mois.

 

Novembre 2013
- première tentative de faire 180km, à bord du grand narak: Echec

J'aurai fait 100 km en 22h, dans des conditions déplorables: départ fixé le vendredi vers 17h (il aurait été plus intelligent de partir un matin, après une bonne nuit de sommeil). La nuit est donc déjà tombée lorsque je quitte le ponton ce soir là. Je suis encore en jean et treillis, ce qui semble plutot inconscient par le froid de novembre... Le courant est vraiment important, et épuisant à remonter: c'est bien plus difficile de prendre appui sur l'eau, quand celle-ci descend à cette vitesse, et il faut donc pagayer beaucoup plus vite pour avancer. La pluie aussi est de la partie, pendant 20h, j'aurai donc été continuellement mouillé. Après une brève éclaircie, un énorme front de nuage sombre et la fatigue de la nuit, ont raison de ma motivation Je m'empresse de rentrer pour avoir le temps de faire sécher le kayak avant l'averse suivante, et éviter ainsi qu'il ne moisisse une fois plié.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- deuxième tentative: Echec 125km, 28h

Un léger mieux, 125km en 28h, mais conséquent quand on pense que ces 25 kilomètres de plus, correspondent à la distance moyenne d'une randonnée de 12h en mer, pour le kayak de loisir. Cette fois ci, levé à 1h du mat, après 3h de sommeil, pour terminer les préparatifs (là encore je suis bien conscient que ce ne sont pas les condition idéales, mais la médecine ne laisse que peu de marge de manoeuvre, pour 40h de ce genre de hobby). Malheureusement je ne partirai qu'à 4h du matin, à cause de problèmes de montage du narak.

Cette fois ci, j'anticipe le froid: je prends une combinaison de ski, et installe des plastiques sur le hiloire faisant office de pontage, pour éviter que mon kayak ne se remplisse d'eau, ou que mon pantalon ne se fasse tremper.

Pourquoi me suis je finalement arrêté ce dimanche à 8h du matin? les raisons sont multiples:

- le froid (5-7° je crois), les gants ont résisté 4h tout au plus. Les 30h suivantes, mes doigts étaient gelés, et la barre métallique trempée d'eau glaciale, n'avait rien à envier au premier stallactite venu.
- la fatigue, toujours aussi redoutable pour le moral. Surtout celle ci peut se révéler dangereuse: la dernière heure avant de rentrer, dès que j'arrêtais ne serait ce qu'un instant de pagayer, je tombais dans un microsommeil de 10s, pour me réveiller quelques péniches plus loin. Le risque dans ce cas est de ne plus se réveiller à temps, et de se faire emporter vers les écluses de Suresnes.
- la fatigue physique sans doute aussi: à la longue on sent une baisse d'efficacité, et une immense lassitude
. Pas vraiment de douleur musculaire, mais de belles brulures aux coude! Provoquées par le très léger, mais continu, frottement du polo à cet endroit, sans doute favorisées par le froid et l'humidité.
- le courant qui a encore augmenté.
- les aller-retours: dévastateurs pour le moral: ça n'est pas du tout stimulant de faire toujours la même chose, avec pour unique objectif une certaine distance à parcourir. Et puis ça offre surtout la possibilité de s'arrêter, d'aller prendre une bonne douche chaude dans l'heure, si on le souhaite. J'aurai résisté 27h à cette tentation
.


Janvier 2014
Présentation du projet à la FSDIE
, qui accorde une bourse de 500 euros au projet.

 

Fevrier 2014

Saint Jean de Passy promet également 500 euros

 

Mars 2014

Dépot du dossier auprès de la bourse de l'initiative de la mairie de Sèvres. Celle ci accorde un chèque de 700 euros

 

Avril 2014

- troisième tentative: Réussite 180km, 31h

Mardi 07/04 : ça y est les partiels d'hépato-gastro viennent de se terminer, l'été approche, j'ai jusqu'à la fin de la semaine pour enfin réussir à effectuer la distance.

J'ai appris de mes erreurs. Je prépare l'intégralité du matériel et monte le kayak la veille du départ, sur les pontons de l'île de Monsieur. Pierre Legay m'autorise à stocker le kayak dans le hangar de l'ASK pendant la nuit. J'ai déjà gagné 3h de montage méticuleux sur le lendemain matin.

Jeudi, levé 6h30, je suis sur place à 7h30, à l'eau à 8h précise.

Comme d'habitude les premières heures sont difficiles. C'est le réveil plaintif des muscles qui n'ont pas été ainsi sollicités depuis novembre.

La Corse est encore très loin, et depuis novembre, entre les partiels, le stage particulièrement prenant, les refus des sponsors, mon entrainement quotidien était devenu beaucoup plus anarchique, puis complètement nul depuis plusieurs semaines.

 

Cependant je pars déterminé. J'ai mieux dormi grâce à mon anticipation, et je dispose d'un nouvel atout majeur, le temps: 4 jours totalement libre. Ca ne s'est pas produit depuis la rentrée. J'aurai donc aussi le temps de récupérer.

En effet je suis persuadé qu'on peut endurer infiniement plus de souffrance, si on sait qu'elle est passagère. Et d'autant plus si on sait qu'elle sera récompensée ensuite. Un autre problème de mes tentatives précédentes, c'est qu'elles s'effectuaient en un WE. Ca veut dire qu'une fois la distance accomplie, c'est la course pour ranger et nettoyer le matériel, puis rejoindre le foyer. Aucun répis avant la reprise lundi. Forcément ça vous incite à vous arrêter plus tôt, pour profiter au minimum d'une douche et d'un bon dîner avant d'attaquer la semaine.

J'ai donc le temps, à défaut de l'entrainement.

Les kilomètres défilent, à 17h Michel me rejoint. On pagaie ensemble environ 4h. Lui aussi met quelques temps à imprégner le rythme. D'autant plus que les pauses pour discuter s'allongent. En particulier avec ce kayakiste dont nous avons croisé la route. Sans doute interpellé par mon attirail de gitan. En effet à défaut de jupe, j'ai tendu au dessus du hiloire des morceaux de bâche transparente, accrochés à la ligne de vie par des pinces à linge. J'ai également glissé des fils de fer par dessous, afin de rendre la structure plus rigide. L'eau et les feuilles accumulées dessus achèvent de donner à l'ensemble son état dépolorable. Une fois encore, il nous prend gentiment pour des fous, mais soutenu par Michel, je ne me laisse pas intimider. Nous nous quittons en bon terme, en lui lançant "de revenir demain, voir si nous sommes toujours là". Michel me laisse vers 21h, j'ai pris pas mal de retard, mais comme souvent, il m'a redonné confiance, et je suis plus motivé que jamais. J'en aurai besoin pour affronter la nuit. Les muscles tiennent le coup, en revanche les intestins semblent refuser d'absorber la moindre nourriture et crient de douleur.

Je décide d'allumer le MP3 que m'a prêté ma petite soeur. Les lumières de la ville se reflètent dans l'eau, la Seine est calme.

Le contraste avec l'effort à faire est saisissant. Mais la nuit m'invite à m'apaiser.

Minuit. Un bateau approche et braque son projecteur dans ma direction. C'est ce que je redoutais. Je m'approche, et ma crainte se confirme. Le zodiac de la préfecture de police. J'explique la situation. Je savais bien sûr que le kayak était interdit de nuit: je suis la première personne, depuis la création du service de navigation de la Seine, à faire une demande de manifestation pour pagayer de nuit. Il m'avait fallu 3 mois pour obtenir chacune des 2 autorisations, la deuxième étant faite en septembre, elle m'a valu d'affronter le froid et le courant de novembre.

Cette fois ci je ne pouvais envisager prendre autant de retard sur mon entrainement, Ces 3 mois me conduiraient en juillet. Je leur montre quand même les autorisations obtenues précédemment, que j'avais emportées par prudence. Rien n'y fait. Je tente de négocier. De nuit je navigue uniquement dans le bras mort de la Seine et donc aucun risque de gêner les péniches. Je leur demande naïvement de fermer les yeux. On me répond que je suis en infraction Xième catégorie, que je risque 1200 euros d'amende, et qu'ils n' ont pas intérêt à me retrouver sur l'eau cette nuit si je veux y échapper.

Ils venaient d'enterrer le projet. Jamais je n'obtiendrai de nouvelle autorisation avant juillet. Je ne pourrai plus montrer aux sponsors que oui, je suis capable de faire cette traversée.

Ils me disent qu'ils vont me raccompagner aux pontons. En cours de route ils m'abandonnent ayant probablemenet croisé quelque pêcheur également en infraction. Je ne peux pas me permettre de risquer ces 1200 euros d'amende, le kayak a déjà engouffré l'intégralité de mes maigres économies. La mort dans l'âme je rejoins le ponton. Sur les derniers kilomètres Je cherche les solutions possibles. J'ai parcouru 90km, soit pile la moitié de la traversée, en 15h15. Je pourrais éventuellement poursuivre dissimulé derrière les péniches à quai, mais la progression y est très difficile, à cause des bouts d'amarrage et des hauts fonds.

En partant le plongeur de la préfecture m'a dit que les horaires autorisés pour la navigation étaient de 1h avant le levé du soleil,  à 1h après son couché. Je réfléchis En avril, celui ci se lève probablement vers 6h30. Si je repars vers 5h du matin, la probabilité de croiser le zodiac pendant la première demi-heure est relativement faible. Ensuite je serai de nouveau dans la légalité.

Ma décsion est prise, ces 5h de répit ne seront qu'une pause négligeable parmi les  40h d'effort.

Répit.... J'étais naif.

Les 5h qui arrivent allaient être une nouvelle épreuve. J'arrive sur le ponton. J'effectue mes premiers pas titubant depuis 15h. Je sors le kayak de l'eau. Heureusement, à cause de ma mésaventure de novembre, j'avais prévu un excès d'habits chauds pour la nuit. J'en enfile un maximum: chaussettes de randonnée, bottes, polaire, manteau de marine, bonnet. J'ai même emporté une couverture polaire. Je suis prêt à affronter cette nuit. Très rapidement je me refroidis. Je dors blotti contre le kayak. 10 cm sous les lattes de bois humides, l'eau froide de la Seine. Je tremble énormément. fatiguant probablement davantage mes muscles que le rythme paisible du kayak. A cela viennent s'ajouter les crampes, et la douleur à l'estomac qui ne m'a pas quittée. Je remue sans cesse mes intestins dans l'espoir de refaire circuler les gaz emprisonnés qui me distendent l'abdomen.

Je sombre dans un sommeil haché, regardant l'heure toute les 30 minutes, qui parraissent une éternité.

Entre deux sommeils, je vois le gardien de l'île s'approcher du ponton. L'adrénaline m'envahit. Si lui aussi me demande de partir, il va falloir de nouveau improviser. Il braque sa lampe dans ma figure, à une dizaine de mètres, sur le quai en haut du ponton. Je ne bouge pas, je ne respire plus. 30 secondes interminables. Finalement il se retrourne et s'éloigne. Je ne sais pas si il savait que j'étais là, ou si'il a simplement pensé à un tas d'habits laissés en plan à coté d'un kayak, tant je ne ressemblais à rien, enchêvetré dans mes couches de couverture.

Ceux qui on déjà dormi par terre me comprendront: au froid s'ajoute aussi la dureté du bois, qui limite vos points d'appui à quelques cm douloureux, sur vos épaules, votre crâne, votre bassin, vos genoux. Ces quelques points de peau qui supportent la majorité du poids de votre corps sont broyés entre le bois et les os.

Je détache donc les sièges gonflables du kayak pour tenter de me faire un matelas plus confortable. La nuit se poursuit. Interminable. Finalement à 4h30, une nouvelle fois réveillé, je décide de repartir. Je nettoie rapidement le kayak, réorganise mes affaires, et repars à 4h45 précise.

J'assiste émerveillé à un nouveau levé de soleil au dessus de la Seine. Le monde reprend des couleurs.

Je poursuis inperturbable les aller-retours. Je limite encore davantage les pauses, il faut que je termine avant la nuit suivante, à savoir avant 21h, sous peine de retomber sur le zodiac. Je m'efforce de maintenir un rythme soutenu. Je retrouve Michel de 13h à 14h qui revient entre deux séances de  rééducation. Là encore, sa présence me motive davantage, et je m'apprête à affronter les derniers heures d'effort.

En milieu d'après midi, je refais mes calculs. Je décide de changer un peu d'air et de terminer la distance à un autre endroit, lassé des péniches que je connais maintenant par coeur. A bord les passagers commencent à s'interroger sur mon étrange manège et plusieurs me demandent ce qui motive mes allers-retours incessant.

Le compte à rebours des dernières heures commence. Plus que 4. 3. 2.

Papa m'appelle, me demande quand je rentre. Je lui dis que j'aurai sans doute besoin d'aide pour remonter le kayak à la maison. Il viendra en voiture.

Le soleil se couche, l'eau renvoie son reflet pourpre par millier, sur les vaguelettes créées par la brise qui s'est levée. Encore un dernier effort, j'y suis bientôt.

J'entame l'ultime retour, enflammé par ma réussite iminente.

Je vois les pontons, l'arrivée!! Soudain une silhouette se lève, agite les bras dans ma direction. En quelques secondes je la rejoint. Mes parents, mon frère et ma soeur sont là, je sors du kayak, ils me jetent une serviette sur les épaules, et me tendent un verre de punch. Je manque de tomber dans l'eau en sortant, ils me rattrapent par les bras. J'ai les larmes aux yeux. Voilà 1h qu'ils attendaient mon retour sur le ponton, avec un délicieux pique nique, des habits secs. Il est 20h30, il fait nuit. J'ai échappé au zodiac, après avoir courru après le temps toute la journée. J'ai de nouveau fait 90 km cette fois ci en 15h45.

Quelques photos ratées, pour immortaliser ce moment. J'appelle Michel pour le remercier de son soutien. Nous restons 1h ou deux, à pique niquer sur ce ponton ou j'ai passé une nuit si terrible la veille. Tout semble si différent à présent.

Je vous épargne les détails sur le nettoyage et le rangement du kayak, particulièrement éprouvant, quand après une telle épreuve, vous n'avez qu'une envie, s'est vous enfouir sous votre couette, et ne plus bouger.

J'aurai finalement prouvé au moins une chose: quelle que soit l'issue de ce projet, je suis capable de faire cette traversée tout comme les champions qui se préparent aux JO. Je l'ai faite en 31h, au lieu des 40 prévues. Je l'ai faite sans avoir touché une pagaie depuis 5 mois. Sans entrainement depuis plusieurs semaines. Malgré ça, je n'ai pas eu les problèmes de mes premières traversées, à savoir une flexion spontanée irréductible des doigts à chaque fois que je lâchais la pagaie et m'obligeant a m'étier les mains régulièrement. J'allais dire sans d'ampoule, mais ce serait oublier l'énorme bulle de 1 cm remplie de sang, qui à surgi de mon index gauche il y a sans doute 12h. Je l'ai découverte par hasard, au cours d'une pause, mon corps étant finalement probablement anesthésié à ce genre de douleur plus secondaire.

Une fois encore je me promets que jamais je n'irai en Corse, que j'ai déjà suffisament prouvé que j'en étais capable. Mais maintenant au fond, je le sais, dans quelques jours mon rêve me rattrapera, plus concrêt que jamais.

Les choses avancent...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Juin 2014

L'AGPM rejoint le projet et promet 500 euros au projet.

 

Juillet 2014

Jean Claude ROLLO, directeur de co-navigation.fr, sauve le projet en proposant un nouveau bateau pour la traversée.

Co-navigation.fr rejoint donc la liste des sponsors.

 

 

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